La partisanerie à elle seule peu susceptible de décider du sort de l’AEUMC

Cet article a été publié dans le Global Trade Magazinele 5 novembre 2018

Par Candace Sider, vice-présidente des affaires gouvernementales et réglementaires, Amérique du Nord

Alors que les élections au Congrès américain approchent à grands pas, de nombreuses analyses publiques ont été menées sur l’incidence que pourrait avoir un Congrès à majorité démocrate sur le sort de l’Accord États-Unis–Mexique–Canada, ou AEUMC, récemment négocié.

Certains ont suggéré qu’une vague bleue au Congrès entraînerait l’annulation quasi certaine d’un accord commercial dont le sort doit être déterminé par un vote pour ou contre. En fait, la nouvelle Secrétaire au Commerce mexicaine, Luz Maria de la Mora, a récemment indiqué que les démocrates, qui ont toujours considéré le libre-échange de façon moins favorable que les républicains, utiliseront probablement l’AEUMC comme monnaie d’échange. D’autres ont suggéré que les démocrates rejetteraient l’accord afin de faire dérailler ce qui est largement considéré comme l’une des principales réalisations de l’administration Trump.

De telles prédictions sont certes plausibles compte tenu de la dynamique politique polarisée à Washington. Cependant, la partisanerie politique à elle seule ne saurait justifier l’annulation de l’AEUMC. Après tout, chaque membre du Congrès, qu’il soit démocrate ou républicain, représente une circonscription clairement définie qui est caractérisée par ses propres spécificités et besoins locaux. L’AEUMC étant un accord d’exception qui bénéficie largement aux électeurs d’un membre du Congrès, il serait préjudiciable sur le plan politique de voter contre simplement par dépit.

Reste à savoir à quel point les Américains sont favorables à l’AEUMC. En outre, une grande ambivalence persiste quant aux avantages du nouvel accord commercial et à la mesure dans laquelle il sera susceptible d’améliorer la vie ou les perspectives d’emploi des Américains. Un sondage réalisé par POLITICO / Morning Consult dix jours après la publication du texte de l’AEUMC par le Bureau du représentant au commerce des États-Unis (USTR) montre que 38 % des Américains croient que l’AEUMC aura une incidence favorable ou nettement favorable sur les travailleurs du secteur manufacturier, alors que 29 % estiment qu’il aura un effet neutre ou négatif. Les autres personnes interrogées n’ont pas exprimé d’opinion. En outre, encore moins d’Américains (32 %) croient que l’accord aura une incidence favorable ou nettement favorable sur les consommateurs. Moins de la moitié des personnes interrogées (43 %) croient que l’AEUMC est très différent ou quelque peu différent de l’ALENA.

Les groupes du secteur semblent, à première vue, être soulagésdu fait que l’accord « à l’amiable » conserve son caractère trilatéral et dissipe le climat d’incertitude entourant les échanges commerciaux qui avait terni la confiance des investisseurs au cours des 13 derniers mois. Cependant, l’atténuation des préoccupations est loin d’être une approbation sans réserve d’un accord dont très peu de personnes à l’extérieur de l’administration américaine souhaitaient la remise à neuf.

Compte tenu de cette ambivalence, l’annulation de la ratification de l’AEUMC par le Congrès ne saurait être considérée comme étant un acte d’intransigeance, même si une telle annulation éveillerait certainement la colère des groupes dont l’accord a permis d’obtenir de modestes concessions (par exemple, les producteurs laitiers, les fabricants, les détaillants, les groupes de travailleurs, etc.). De plus, il convient de noter que l’opposition du Congrès à l’AEUMCne relèverait pas nécessairement du domaine exclusif des démocrates. Les républicains du Congrès, dont les électeurs pourraient être lésés par les modifications apportées à certaines dispositions de l’accord commercial, se sont vivement opposés à la modification de l’ALENA.

Le calendrier est également un aspect primordial. Il est peu probable qu’un vote du Congrès américain sur l’AEUMC ait lieu avant l’été 2019, après le dépôt par la Commission du commerce international de son rapport sur l’incidence économique prévue de l’accord commercial. Beaucoup de choses pourraient changer entre les élections au Congrès et le vote de ratification en ce qui concerne la manière dont l’accord commercial est perçu par les parties prenantes les plus touchées et la manière dont elles choisissent d’exprimer leur satisfaction, leurs contrariétés et leurs désaccords.

Le risque de voter « non » n’est pas simplement le retour à un accord obsolète. Le président a déjà annoncé publiquement son intention de se retirer de l’ALENA dans le cas d’une non-ratification par le Congrès de l’accord négocié par son équipe. Le Congrès n’aurait donc qu’une seule option : adopter le nouvel AEUMC ou refuser tout accord de libre-échange, ce qui provoquerait un retour à un climat d’incertitude dans les échanges commerciaux.

De plus, voter « non » permettrait certainement de confirmer le rôle qu’occupera l’AEUMC comme thème majeur de la campagne présidentielle de 2020. Tout candidat qui votera contre l’AEUMC devra convaincre ses électeurs que les concessions obtenues du Mexique et du Canada n’auraient aucunement profité à l’économie américaine.

Autant dire que la ratification de l’AEUMC devrait reposer sur beaucoup plus que sur un changement de composition du Congrès. La vague bleue du 6 novembre ne doit pas nécessairement être interprétée comme un glas pour l’accord commercial naissant. Avec un peu de chance, les membres du Congrès, quelle que soit leur allégeance politique, décideront du sort de l’AEUMC en fonction du rapport sur l’incidence économique de l’ITC, ainsi que des commentaires des groupes industriels et de leurs propres électeurs. Cette initiative, en plus de consolider les mérites ou les risques inhérents à l’accord, permettrait de démontrer de manière tangible aux Américains que leurs représentants politiques travaillent réellement pour eux.