Lorsqu’il est question de l’ALÉNA, les multinationales devraient choisir une approche « pour le cas où » plutôt qu’attentiste

Cet article a été publié d’abord dans le Global Trade Magazine le 20 avril 2018

Par Bernie Hart, vice-président de la division de la gestion du commerce mondial de l’entreprise de services commerciaux de Livingston International

La menace du retrait des États-Unis de l’ALÉNA s’est considérablement dissipée au cours des dernières semaines, laissant place à l’optimisme et à un sentiment de soulagement chez les entreprises qui ont passé plus d’une génération à investir dans des chaînes d’approvisionnement continentales élargies.

Bien que le soulagement général des plus grandes industries et entreprises en Amérique n’aurait été sans surprise, la réponse à ce jour s’est avérée relativement tempérée. Cela s’explique peut-être du fait que nombre d’entre elles avaient prédit et attendu tranquillement que les négociations ne changeraient en rien, au final, le paysage commercial.

Une étude récente de Livingston indique que deux tiers des grandes entreprises des États-Unis et du Canada estiment que les négociations seraient soit couronnées de succès, ou pourraient traîner sur une période inexplicablement longue jusqu’à ce que les responsables de la formulation des politiques conviennent que l’accord demeure inchangé.

À leur crédit, un nombre impressionnant de grandes entreprises qui utilisent actuellement l’ALÉNA ont choisi de ne pas adopter une approche attentiste, mais d’amorcer l’établissement de mesures d’urgence dans l’éventualité du pire scénario (par exemple, le retrait des États-Unis de l’ALÉNA).

Cependant, le pourcentage d’attente au pire parmi les grandes entreprises n’était pas aussi élevé qu’on pourrait le penser. Seulement 18 pour cent ont affirmé qu’elles avaient mis en œuvre des plans d’urgence, alors qu’un peu plus de la moitié indiquait que bien qu’elles s’inquiétaient d’un résultat potentiellement négatif, elles n’avaient qu’une idée bien générale des conséquences d’un retrait des États-Unis sur leurs activités et n’établissaient pour le moment aucune mesure d’urgence. Un autre 18 pour cent déclarait n’avoir pas encore envisagé les résultats des négociations ou l’impact sur leurs activités.

Cette approche attentiste tenait de leur optimisme voulant que d’une manière ou d’une autre, l’ALÉNA resterait en définitive un pilier du commerce nord-américain. Malheureusement, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Bien qu’il y ait des raisons d’être optimistes et que les parties continuent de viser la ratification d’une entente au début du mois de mai, l’écart sur le plan des enjeux importants reste à combler et tout peut encore arriver.

Pour les entreprises qui n’ont pas encore examiné la façon dont des modifications de l’ALÉNA pourraient les toucher, voici quelques aspects à considérer :

Frais au débarquement

Si les États-Unis choisissaient de se retirer de l’ALÉNA, l’effet immédiat serait l’imposition de tarifs douaniers sur d’innombrables marchandises qui traversent les frontières de l’Amérique du Nord tous les jours. Les entreprises devraient consulter leurs courtiers en douane afin de déterminer les répercussions possibles de l’impact tarifaire sur la classification respective de leurs produits.

Temps de transit

Une des caractéristiques de base de l’ALÉNA est la mesure dans laquelle elle va au-delà des questions strictement commerciales pour intégrer la coopération aux régimes réglementaires et politiques de sécurité. Les attentats du 11 septembre survenus aux États-Unis en 2011 ont donné lieu à des mesures de sécurité renforcées et les trois parties de l’ALÉNA ont collaboré pour trouver des moyens de simplifier les processus commerciaux sans compromettre la sécurité.

Il est difficile de se prononcer sur ce que le retrait des États-Unis de l’ALÉNA pourrait vouloir dire pour ces processus de coopération frontalière. Par exemple, sous réserve de l’ALÉNA, les conducteurs de grands routiers mexicains sont actuellement autorisés à entrer aux États-Unis et transporter leur charge jusqu’à 20 kilomètres outre la frontière avant de faire le transfert à un transporteur américain. Si ce processus était interrompu, cela augmenterait grandement les temps d’attente à la frontière américano-mexicaine où les camionneurs attendent déjà de cinq à six heures avant d’être autorisés à poursuivre leur route. Cela viendrait également alourdir le processus de transfert entre les transporteurs mexicains et américains, prolongeant encore davantage le transport terrestre.

Les entreprises devraient envisager ce que les délais du transport terrestre signifieraient pour eux, notamment des frais d’entreposage supplémentaires, l’impact sur le contrôle des stocks et les problèmes potentiels entourant le service client. Les entreprises qui utilisent des processus de livraison juste à temps et des offres de commerce électronique robustes pourraient être particulièrement vulnérables.

Couloirs commerciaux

Il est important de se rappeler que si les États-Unis se retirent de l’ALÉNA, cela ne signifie pas que le libre-échange sera interrompu entre le Canada et le Mexique, des pays qui verront bientôt leurs relations de libre-échange renforcées par leur participation réciproque au partenariat transpacifique global et progressiste, le successeur du partenariat transpacifique, duquel les États-Unis se sont retirées l’an dernier.

Les entreprises qui comptent sur le commerce entre le Canada et le Mexique, où les valeurs des échanges s’élevaient à presque 500 milliards $ en 2016, pourraient malgré tout trouver des façons de mettre à profit les économies de coûts du libre-échange. Par exemple, en transportant par voie terrestre les marchandises sous caution par les États-Unis, ils pourraient éviter d’avoir à payer des droits sans entrer dans le commerce des États-Unis. L’expédition de marchandises par transport maritime, en évitant complètement les États-Unis, pourrait être une autre possibilité selon les circonstances.

Les entreprises qui font le commerce de marchandises de forte valeur ou en grande quantité directement entre le Canada et le Mexique devraient collaborer avec leurs conseillers en commerce international afin de déterminer les façons les plus logiques de modifier les couloirs commerciaux en tenant compte de leurs frais de transport et au débarquement totaux. 

Solutions de rechange à l’Accord du libre-échange

Pour les entreprises nord-américaines, l’ALÉNA représente la meilleure option au chapitre des accords de libre-échange. Toutefois, elle n’est pas la seule. Le Mexique détient actuellement de tels accords avec plus de 40 pays et le Canada continue de réduire ses obstacles commerciaux, notamment le partenariat transpacifique global et progressiste susmentionné et le récent Accord économique et commercial global qui se veut un accord de libre-échange ratifié avec l’Union européenne.

Pour les entreprises du Mexique ou des États-Unis qui exploitent des centres de distribution au Canada, par exemple, il serait judicieux d’envisager l’établissement de centres de fabrication ou de relations avec des fournisseurs en Asie permettant que les marchandises puissent être exportées au Canada sans l’imposition de droits tarifaires. De la même manière, les entreprises qui importent des produits vers les États-Unis en vue de les assembler et de les réexporter éventuellement vers des pays qui entretiennent des relations de libre-échange avec le Canada ou le Mexique, pourraient envisager de déménager leurs opérations d’usinage chez leur voisin du Nord ou du Sud.

Il ne fait aucun doute qu’un retrait des États-Unis de l’ALÉNA aurait une incidence dramatique sur les chaînes d’approvisionnement de multinationales américaines, bien qu’il existe des moyens d’atténuer l’impact par une planification de scénario prudente et réfléchie. Pourtant, il semble que de nombreux décideurs d’entreprises semblent mettre les pédales douces d’ici la possibilité d’une annonce tangible de retrait de l’ALÉNA. Une telle annonce servirait d’exigence d’avis obligatoire de six mois, soit un laps de temps trop court pour pouvoir reconfigurer une chaîne d’approvisionnement internationale.

Sur le plan des négociations, la situation pourrait sembler favorable, mais il n’y a rien de mal à se préparer au pire, principalement compte tenu des questions qui sont en jeu.