Il n’y a pas de temps à perdre pour remettre les pendules à l’heure de l’autre côté de l’Atlantique

Par Jill Hurley, Directrice, conseil en commerce international

Ceux qui se souviennent des premiers jours de l’informatique personnelle se rappelleront probablement du fameux proverbe en réponse à ce qu’il faut faire si un ordinateur est gelé ou agit de façon irrégulière : en cas de doute, redémarrer.

C’est l’approche que les décideurs européens espèrent adopter pour rétablir les relations avec Washington à l’aube d’une nouvelle année avec un nouveau gouvernement. Au début de décembre, la Commission européenne a publié un rapport destiné aux gouvernements des États membres de l’UE, notant que les parties « doivent travailler en étroite collaboration pour résoudre les différends commerciaux bilatéraux. » Le langage était vague et trop diplomatique, mais le message était clair : il est temps de mettre de côté les griefs et de se regrouper pour rétablir un semblant d’ordre mondial.

Agressivité passive

Au cours des quatre dernières années, Bruxelles et Washington ont été impliqués dans un conflit commercial continu qui a vu les deux parties imposer des tarifs sur les importations de l’autre. Cela a commencé par des tarifs sur l’acier et l’aluminium européens et s’est transformé en barrières commerciales sur les marchandises de consommation et les avions à cause d’un différend de longue date concernant les subventions aux géants de l’aérospatiale Boeing et Airbus, et plus récemment d’une dispute sur les taxes sur les technologies. Alors que les deux parties ont publiquement affiché leur volonté de maintenir ouvertes les voies de communication sur les questions commerciales, les différends ont continué à mijoter dans les coulisses, les deux parties s’étant affrontées sur les politiques relatives au changement climatique, le multilatéralisme et le rôle de l’Organisation mondiale du commerce et du financement de l’OTAN.

Il y a de bonnes raisons d’aborder la question de la remise des pendules à l’heure avec un sentiment d’urgence, et il y a de bonnes chances que le président élu Joe Biden le fasse, en particulier étant donné l’interconnexion des objectifs commerciaux et géopolitiques de Washington en Extrême-Orient.

Éliminer les barrières

L’objectif de Washington en imposant des tarifs était de créer un meilleur équilibre dans les relations commerciales bilatérales et/ou de créer les conditions pour renforcer sa position dans les négociations commerciales. Aucun des éléments ne s’est concrétisé tel que prévu. Le déficit commercial des États-Unis avec l’UE est passé de 146 milliards de dollars en 2016 à 178 milliards de dollars en 2019, soit une augmentation de 22 % en trois ans seulement, alors même que de nouvelles barrières commerciales étaient mises en place chaque année entre les parties. En attendant, il n’y a aucune chance que des pourparlers de libre-échange entre Washington et Bruxelles puissent avoir lieu dans un avenir proche. Le Transatlantic Trade & Investment Partnership (TTIP), un accord de libre-échange négocié avec Bruxelles sous l’administration Obama, n’a jamais été conclu et l’administration Trump n’avait aucun intérêt à poursuivre un accord commercial avec une institution multilatérale, préférant des accords commerciaux bilatéraux. Les fonctionnaires de l’UE et le président élu Biden ont publiquement laissé entendre que la reprise des négociations sur le TTIP n’est ni probable ni souhaitable pour le moment.

En bref, il y a peu à gagner à maintenir un climat d’animosité de l’autre côté de l’Atlantique. Cependant, il y a beaucoup à perdre si l’on ne parvient pas à une entente mutuelle.

Le facteur Chine

Les entreprises américaines se battent pour récupérer la part d’exportations qu’elles ont perdue en raison de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, qui a bloqué de nombreux producteurs américains hors de la Chine entre 2018 et 2019. Alors que la phase 1 de l’accord entre Washington et Pékin était censée voir la Chine acheter pour 200 milliards de dollars de biens américains entre 2020 et 2021, le rythme de ces achats est bien en retard sur l’échéancier et de nombreux économistes et observateurs politiques sont sceptiques quant à la capacité de Pékin à respecter ses engagements étant donné l’état de son économie.

Les entreprises américaines espéraient que l’Europe serait un marché alternatif pour les exportations américaines, ce qui a été le cas dans une certaine mesure, mais les guerres tarifaires génèrent une incertitude chez les investisseurs qui a des implications à moyen terme. Selon un sondage mené par HSBC en 2019, 39 % des entreprises américaines prévoient de se développer en Europe au cours des trois à cinq prochaines années, contre seulement 18 % qui prévoient de cibler l’Asie. La Chine a plutôt dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’UE, même si les exportations de l’UE vers les États-Unis au cours des neuf premiers mois de 2020 étaient deux fois plus importantes que celles destinées à la Chine. En outre, les entreprises européennes investissent énormément en Chine, bien plus que les entreprises américaines, les flux d’IDE de l’Europe vers la Chine totalisant près du triple de ceux des États-Unis en 2017, la même année où les IDE américains vers l’UE ont atteint un niveau historiquement élevé. En bref, les investissements américains en Europe augmentent alors que les exportations vers l’Europe diminuent. Pendant ce temps, les investissements européens en Chine augmentent alors que les exportations vers la Chine ont plafonné. Cela s’explique en partie par le fait que l’économie en Chine a été la première à se remettre de la pandémie, ce qui entraîne une plus grande demande pour les marchandises européennes. Parallèlement, elle pourrait être le signe précurseur d’un changement à plus long terme dans la dynamique commerciale de l’Europe.

Cela place l’Europe à la croisée des chemins. Alors que le continent a été historiquement aligné sur les intérêts américains, l’influence économique de la Chine tire l’Europe vers l’est. Cette situation devrait inquiéter les fonctionnaires à Washington, non seulement en raison de la détérioration des relations commerciales, mais aussi parce qu’elle a des implications politiques plus étendues. Si la guerre commerciale persiste, il est moins probable que l’Europe se joindra aux États-Unis pour empêcher l’utilisation de la technologie 5G produite en Chine dans les réseaux européens. Il est également moins probable que Bruxelles s’associe à Washington pour s’en prendre à la Chine sur ses transgressions en matière de politique commerciale, mais aussi de politique sociale et politique.

Taxes sur les technologies

L’obstacle le plus immédiat que les parties doivent surmonter n’a rien à voir avec l’acier, l’aluminium ou les avions et tout à voir avec la façon dont l’Europe entend taxer les géants de la technologie américains. La France a déjà annoncé qu’elle allait de l’avant avec une taxe sur les services numériques sur les revenus générés dans le pays par les grandes entreprises technologiques telles que Google, Apple, Amazon et Facebook. Ces taxes sont un moyen de répondre à la croissance du commerce en ligne, en créant des revenus pour les entreprises situées en dehors du pays qui ne paient pas d’impôt de société. Il en résulte un épuisement des coffres publics à un moment où les dépenses fiscales sont à des niveaux historiquement élevés en réponse à la pandémie de COVID-19.

Washington a réagi en imposant un tarif de 25 % sur les importations françaises évaluées à 1,3 milliard de dollars par an, en faisant remarquer que la taxe française sur les services numériques vise injustement les entreprises américaines. Mais l’ampleur de la question est bien plus grande car un certain nombre d’autres nations européennes ont l’intention de suivre l’exemple de la France et Bruxelles cherche à imposer une taxe sur les services numériques à l’échelle de l’UE. Il reste à voir si le gouvernement Biden annulera les tarifs ou les doublera, mais le premier scénario pourrait être un premier pas vers la détente tandis que le second pourrait approfondir l’animosité existante à un moment crucial.

Le facteur temps sera déterminant. Si les choses restent inchangées entre les États-Unis et l’UE d’ici un an et que les relations entre Pékin et Washington continuent de se détériorer, les entreprises américaines pourraient se trouver confrontées à un nombre croissant de barrières commerciales à travers le Pacifique et l’Atlantique, ce qui leur laisserait moins d’opportunités de marché dans le contexte du ralentissement économique le plus spectaculaire depuis plus de dix ans.

Jill Hurley apporte une grande expertise dans l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité des importations et des exportations, les audits de conformité, les exigences en matière de licences d’exportation, la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, la préparation, la présentation et la supervision de projets d’atténuation des pénalités et l’assistance en matière de recours commerciaux américains, tels que les droits antidumping et compensateurs, et les ordres en matière de propriété intellectuelle.