
Par Jill Hurley et Tony Troia
La plupart des personnes qui exercent le droit vous diront qu’être avocat n’est pas aussi prestigieux ni aussi spectaculaire que le dépeint la culture populaire. Une grande partie du métier d’avocat consiste à examiner et à compiler des documents juridiques volumineux et à assister à des audiences qui se penchent sur les détails de la jurisprudence. Il s’agit d’un sujet extrêmement ésotérique. Mais c’est important.
Cela compte parce qu’il touche de vraies personnes. Des gens comme ceux qui exploitent les entreprises que nous soutenons chaque jour. Les entreprises qui s’efforcent d’être conformes, de respecter les règles tout en réduisant leurs coûts et en planifiant leurs activités afin d’atténuer les dépenses et de réduire les risques, et ce, de manière légale et stratégique. Et cela touche des personnes comme nous qui veulent aider ces entreprises à accomplir ces objectifs : bien planifier.
L’IEEPA n’est pas seulement un acronyme
Le 30 juillet 2025, nous avons eu l’occasion d’assister en personne aux plaidoiries à Washington D.C. dans le cadre du recours concernant la légalité du recours à l’IEEPA pour imposer des droits de douane. Si vous ne connaissez pas cet acronyme et que votre instinct vous pousse à passer à autre chose, je vous encourage à prendre le temps de poursuivre votre lecture. Si votre entreprise dépend de produits et/ou de composants provenant de l’extérieur des États-Unis, cela vous concerne directement. L’IEEPA ou l’International Economic Emergencies Act n’est pas seulement un acronyme ou une loi juridique ennuyeuse. Il signifie beaucoup plus que cela.
En tant que conseillers en commerce dont le travail consiste à conseiller les entreprises sur la manière de se conformer aux réglementations commerciales et à les représenter auprès des agences douanières, nous nous sommes sentis obligés d’assister à l’audience en personne. Nous ne voulions pas seulement entendre les arguments exprimés. Nous voulions voir les personnes impliquées, la réaction physique des juges, l’ambiance dans la salle d’audience. Nous voulions être présents, vivre l’expérience de première main, car cela touche les clients que nous aidons chaque jour. Cela les touche non seulement en raison des droits de douane qu’ils doivent prendre en charge, mais également parce que cela finit par limiter leur capacité à planifier et à élaborer des stratégies commerciales.
Tant de lois
Lors de l’audience, l’un des juges a demandé au ministère de la Justice pourquoi il était nécessaire que l’administration américaine recoure à l’IEEPA pour imposer des droits de douane alors que tant d’autres textes législatifs, y compris ceux utilisés précédemment et actuellement par l’administration, sont disponibles à cette fin précise.
Cette question est de savoir en quoi consiste vraiment la légalité de l’utilisation de l’IEEPA pour imposer des tarifs. Bien sûr, les entreprises ne veulent pas avoir à payer les droits de douane associés aux nouveaux tarifs douaniers. Mais le sort des tarifs de l’IEEPA est bien plus que cela. Il s’agit de savoir si le droit commercial peut être établi et/ou abrogé en un jour sans la procédure régulière qui précède généralement de telles mesures.
En 2018, lorsque la première administration Trump a imposé des droits de douane en vertu de l’article 301 de la loi sur le commerce de 1974 afin de sanctionner la Chine pour ses pratiques commerciales déloyales, elle l’a fait en suivant la procédure régulière traditionnelle. Une enquête a été menée sur l’impact des pratiques commerciales alors présumées déloyales. Un rapport de l’enquête a été diffusé publiquement pour justifier les tarifs proposés. Une période de consultation avec l’industrie a été mise en place et menée avant toute décision d’imposer des droits de douane, et les commentaires issus de cette consultation ont été pris en compte. Enfin, un délai de grâce a été accordé aux entreprises avant l’entrée en vigueur des droits de douane afin que les entreprises concernées puissent adapter leurs chaînes d’approvisionnement et leurs activités à cette nouvelle normalité.
Pas le temps de réfléchir
Nous savons que les entreprises ont su tirer parti de cette période de grâce, car nous étions à leurs côtés pour les aider à s’adapter à cette nouvelle normalité.
Même après la mise en place des droits de douane au titre de l’article 301, nous avons aidé avec succès de nombreuses entreprises à demander des exemptions. Nous avons pu le faire, car la procédure de demande d’exemption était prévue dans la loi. Nous connaissions les règles. Nous connaissions le spectre des possibilités, des occasions et des limites. Elles étaient clairement définies.
Étant donné que l’IEEPA est destiné à répondre aux situations d’urgence, cette procédure régulière est écartée au profit d’une action rapide. C’est pourquoi un droit de douane de 25 % pourrait être imposé sur toutes les importations en provenance du Canada (à l’exception de l’énergie et de la potasse), puis, quelques jours plus tard, appliqué uniquement aux importations non conformes à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. C’est pourquoi des droits de douane réciproques pourraient être annoncés de manière théâtrale un jour, puis considérablement réduits seulement 24 heures après leur mise en œuvre. Plus récemment, c’est la raison pour laquelle le gouvernement a pu supprimer l’exonération des droits de douane sur les marchandises de faible valeur à compter de 2027 dans son projet de loi « One Big Beautiful Bill », qui a récemment été adopté par le Congrès, puis choisir de supprimer l’exonération des droits de douane avec un préavis de seulement quatre semaines par le biais de l’IEEPA, comme il l’a fait le 30 juillet 2025. Aucun enquête. Aucune occasion de rétroaction. Aucune exigence pour un délai de grâce.
Il ne s’agit pas de savoir si les tarifs sont bons ou mauvais, justes ou injustes
Le sujet de la politique commerciale peut être controversé, voire polarisé. Certaines entreprises sont excessivement touchées par l’imposition de droits de douane, mais soutiennent néanmoins cette politique pour diverses raisons. De même, certaines entreprises pourraient tirer profit des droits de douane, mais s’y opposent. Que l’on soit favorable ou opposé aux droits de douane n’a aucune importance. Les tarifs sont une réalité du commerce. Les importateurs et les exportateurs le reconnaissent. Mais les lois commerciales existent pour que ceux qui participent au commerce mondial comprennent les règles du jeu. Ils comprennent ce qui est conforme et ce qui ne l’est pas. Ils peuvent prendre le temps nécessaire, en faisant appel à des acteurs internes et externes, pour faire des choix stratégiques fondés sur un environnement commercial solide et prévisible (même lorsque cet environnement est défavorable). Si la cour fédérale se prononce en faveur du gouvernement, cette prévisibilité et cette possibilité de planification seront définitivement remplacées par l’incertitude et la volatilité qui ont caractérisé le paysage commercial aux États-Unis et dans le monde au cours des six derniers mois.
Que faire alors?
La décision rendue en réponse aux mémoires et aux plaidoiries présentée le 31 juillet concernant la légalité du recours à l’IEEPA pour mettre en œuvre des droits de douane ne sera pas connue avant au moins deux semaines (voire plus). Quelle que soit la décision rendue, on peut sans risque prédire que la partie perdante fera appel devant la Cour suprême, qui rendra alors une décision définitive sur la question. Cela pourrait être une question de semaines ou de mois. Dans l’intervalle, la politique commerciale continuera d’être régie principalement (mais pas exclusivement) par des mesures soudaines, pour ainsi créer un sentiment d’incertitude pour les entreprises qui souhaitent respecter les règles, mais qui ont du mal à suivre le rythme des changements constants.
Nous continuerons à rester à l’écoute et à être présents (dans la mesure du possible) là où et quand des procédures judiciaires ayant une incidence sur le commerce ont lieu. Non pas parce que c’est passionnant. Mais parce que c’est important.
Jill Hurley est directrice nationale du service Global Trade Consulting chez Livingston et avocate agréée spécialisée dans le commerce international. En tant que chef des meilleures pratiques, elle dirige des projets d’importation et d’exportation aux États-Unis, offrant des examens complets des modèles d’affaires des clients pour l’évaluation des risques, l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité à l’importation et à l’exportation, la réalisation d’audits, la navigation dans les exigences en matière de licences d’exportation et le soutien en ce qui concerne les questions de recours commerciaux aux États-Unis.
Tony Troia est conseiller principal chez Livingston, spécialisé dans le conseil en commerce international. Il est également avocat agréé spécialisé dans le commerce et courtier en douane américain avec plus de 30 ans d’expérience dans le domaine douanier. Il participe activement à la recherche d’occasions de réduction des droits de douane, à la mise en œuvre d’activités de conformité, notamment des évaluations de conformité en matière d’importation/exportation, des déterminations de la valeur à la première vente, des divulgations volontaires, des activités d’atténuation/d’annulation des pénalités, ainsi qu’à de nombreux projets douaniers et autres projets gouvernementaux pour le compte des clients de Livingston International.