Le libre-échange en perspective – Série de quatre articles sur l’évolution des attitudes à l’égard du libre-échange

Article publié le 19 décembre 2016 dans le Global Trade Magazine

Partie 4 : Changements possibles dans l’évolution du commerce Canada-États-Unis

Par Cora Di Pietro

Des changements importants dans l’évolution du commerce entre le Canada et les États-Unis semblent prendre forme dans les 12 à 24 prochains mois. Les entreprises canadiennes, généralement moins dynamiques que le secteur privé américain en matière de commerce international et de recours aux accords de libre-échange, vont augmenter leurs efforts dans ce domaine pendant que du côté américain, le volume du commerce international devrait se stabiliser.

Cette évolution du commerce international canadien pourrait exercer un impact sur les relations commerciales avec les États-Unis et les sources d’approvisionnement des entreprises américaines.

D’après une étude récente de la Société internationale Livingston, le nombre d’entreprises canadiennes qui ont recours à deux accords de libre-échange devrait passer de 14 pour cent cette année à 23 pour cent l’année prochaine, soit une augmentation de 65 pour cent.

Ces chiffres sont révélateurs, vu que le nombre d’accords de libre-échange utilisés par les entreprises américaines ne devrait pas changer pendant la même période. Il faut dire, cependant, que les entreprises américaines sont déjà beaucoup plus audacieuses en matière de commerce international et de recours aux accords de libre-échange. Selon l’étude mentionnée, les entreprises américaines utilisent trois fois plus souvent trois accords de libre-échange ou plus, que les entreprises canadiennes. Aux États-Unis, 45 pour cent seulement des entreprises ont recours à un seul accord de libre-échange, contre 55 pour cent Canada.

Cependant, l’augmentation attendue de la participation canadienne aux accords de libre-échange modifiera ces chiffres et signale un changement intéressant dans l’évolution commerciale du Canada, qui pourrait affecter les relations commerciales avec les États-Unis. Il est normal, des deux côtés de la frontière, que les entreprises qui ont recours à un seul accord de libre-échange utilisent effectivement l’ALENA. Cependant, étant donné l’augmentation prévue de la participation canadienne à plusieurs accords de libre-échange, de nombreuses entreprises se tourneront vers les marchés européens et coréens. En fait, les échanges commerciaux du Canada avec l’Europe devraient augmenter de plus de 60 pour cent, et avec la Corée de plus de 40 pour cent.

Il est intéressant de noter que ces données ont été collectées avant la signature récente de l’Accord économique et commercial global (AECG) qui élimine les droits de douane sur 98 pour cent des biens industriels échangés entre le Canada et l’Union européenne. La signature de l’AECG pourrait intéresser un plus grand nombre d’entreprises que prévu par l’étude. Il reste à savoir si le nombre croissant d’entreprises canadiennes qui décident d’explorer le marché de l’Union européenne se maintiendra après la sortie officielle de la Grande-Bretagne hors de l’Union, étant donné que ce pays ne sera plus accessible pour le secteur commercial canadien en vertu de l’AECG.

L’augmentation prévue des échanges commerciaux entre le Canada et la Corée est également révélatrice. Un accord de libre-échange est déjà en vigueur entre les deux pays, et un certain nombre d’entreprises canadiennes utiliseront la Corée comme porte d’entrée vers le marché des consommateurs asiatiques en expansion. La croissance attendue des échanges commerciaux avec la Corée pourrait signaler une augmentation du commerce avec les pays asiatiques en général si le Canada signe le Partenariat transpacifique (PTP), dont de nombreux observateurs prévoient la signature avant la fin de l’année.

On constate donc que les entreprises canadiennes commencent à regarder au-delà de leur voisin du sud pour faire des affaires. Il ne fait aucun doute qu’une partie de ce nouvel intérêt envers les marchés mondiaux est entraînée par un taux de change plus favorable pour le dollar canadien qui, jusque l’année dernière, tournait autour de la parité avec le billet vert, limitant ainsi le potentiel d’exportation des marchandises canadiennes.

Il est également raisonnable de supposer que la vague de protectionnisme qui a suivi l’élection récente aux États-Unis et l’intention du président désigné Donald Trump de renégocier l’ALENA portent certaines entreprises canadiennes à croire qu’il n’est plus possible de mettre tous leurs œufs dans le même panier américain.

Si le résultat net se limite à une expansion des activités de commerce international au Canada, son influence sur les entreprises américaines restera négligeable. Cependant, si les entreprises canadiennes commencent à remplacer le potentiel commercial des États-Unis par des ouvertures en Europe et en Asie, cela pourrait exercer une influence profonde sur les relations Canada-États-Unis et, particulièrement, sur la capacité des entreprises américaines à s’approvisionner en marchandises moins coûteuses (grâce à un taux de change plus favorable) auprès de fournisseurs canadiens.

Cette situation devrait inquiéter les multinationales américaines qui, à raison d’une entreprise sur quatre, ont recours à des accords de libre-échange pour se procurer des stocks à un coût moindre. Les entreprises américaines qui ont bénéficié des avantages de l’ALENA et qui comptent sur leurs relations commerciales continues avec des entreprises canadiennes devraient consulter des experts en commerce international pour mettre au point un plan de contingence viable pour leurs chaînes d’approvisionnement, au cas où les relations commerciales Canada-États-Unis changeraient.

Avec la signature récente de l’AECG, le Brexit prévu, la signature du PTP et la renégociation potentielle de l’ALENA, les deux prochaines années seront riches en événements dans le secteur du commerce international. Il est encourageant de voir que les entreprises canadiennes évaluent le paysage changeant du commerce international et dressent des plans pour modifier leurs pratiques. Il reste à déterminer dans quelle mesure les entreprises américaines feront la même chose ou se retrancheront dans un certain isolationnisme.

Cora Di Pietro est vice-présidente du groupe conseil de la Société internationale Livingston, une entreprise de services de commerce international. Elle prend fréquemment la parole à des conférences dans le secteur et les universités, et elle est membre active de nombreux groupes et associations professionnels.