Les États-Unis tout seuls : le monde continuera à libéraliser les échanges commerciaux, avec ou sans les États-Unis

Cet article a été publié initialement dans le Global Trade Magazine le 14 février 2018.

Par David Rish, président, gestion du Commerce mondial

Lorsque le président des États-Unis, Donald Trump, a pris la parole au Forum économique mondial, à Davos, en Suisse, en janvier, il a fait passer un message clair et ambigu : « L’Amérique d’abord ne veut pas dire l’Amérique seule. » Le président a profité du forum – un rassemblement de chefs d’entreprise et de chefs d’État faisant partie de l’élite mondiale – pour affirmer catégoriquement que les États-Unis sont « ouverts aux échanges » et qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment pour investir.

Ce message et le moment où il a été communiqué ne sont pas une coïncidence. Il s’agissait d’une réaction à un changement organique et graduel dans les relations mondiales des États-Unis qui entraînait un isolement croissant des États-Unis. Le problème n’est pas tant qu’il existe un sentiment antiaméricain croissant. Ce sont plutôt d’autres pays et blocs commerciaux particuliers qui cherchent simplement à se couvrir en réaction à ce qui semble être un désir grandissant de la part de Washington de recréer le paysage commercial.

Pour comprendre cela, nous devons prendre en considération le fait qu’au début de 2017, les choses avaient l’air plutôt tumultueuses dans l’univers des échanges et des accords commerciaux. Le protectionnisme semblait se répandre rapidement dans l’ensemble du monde industrialisé, sous la forme du Brexit, soit la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, d’une rhétorique opposée aux échanges commerciaux de la part d’un futur président des États-Unis et de fortes chances que des détracteurs du libre-échange remportent les élections à venir en France et en Allemagne. En bref, le protectionnisme commercial semblait être un phénomène mondial croissant, pas seulement pour les États-Unis.

Finalement, plusieurs des mouvements protectionnistes qui se manifestaient dans le monde entier étaient principalement limités à un sous-ensemble de la population se sentant privé de ses droits. L’idée de se débarrasser de l’internationalisme pour s’isoler a rapidement perdu la cote auprès de la majorité des électeurs. Par conséquent, un président centriste et favorable aux échanges commerciaux a pris la barre à l’Élysée, en France, et l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel a conservé sa mainmise sur le pouvoir au Bundestag, malgré une emprise légèrement plus faible.

Le mouvement opposé aux échanges commerciaux a été rapidement refoulé, et les choses sont retournées à la normale en général. Toutefois, ce n’est pas le cas à Washington. Au cours du troisième jour de son mandat, le président a signé un décret visant le retrait des États-Unis à titre de signataire anticipé du partenariat transpacifique (il a plus récemment exprimé une volonté de participer au partenariat transpacifique (PTP) maintenant repensé si les États-Unis pouvaient obtenir de meilleures conditions). Au printemps, le Bureau du représentant américain au commerce a indiqué son intention officielle de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) dont les négociations se sont déroulées de façon bien plus calme jusqu’à présent.

S’il existait des doutes sur l’intention de Washington de jouer dur sur la question des échanges commerciaux, ceux-ci ont complètement disparu lorsque la Commission du commerce international (ITC) a choisi d’imposer des droits compensateurs et antidumping sur le bois d’œuvre canadien et lors du jugement du ministère américain du Commerce en faveur de Boeing dans le cadre de la plainte de celle-ci contre son concurrent canadien Bombardier, pour la baisse de prix injuste des avions à réaction C-Series, qui a été possible grâce à des subventions du gouvernement (le jugement a finalement été rejeté par la Commission du commerce international des États-Unis).

Plus récemment, l’administration de Washington a suivi les conseils de l’ITC pour imposer des limites quant au nombre de machines à laver que les entreprises coréennes peuvent envoyer aux États-Unis pour faire concurrence aux fabricants de machines à laver américains. Cette recommandation arrive dans un contexte de discussions récemment entamées visant la modification de l’accord commercial KORUS entre les États-Unis et la Corée pour ouvrir le marché automobile coréen à davantage de véhicules fabriqués aux États-Unis. En outre, au tout début de 2018, Washington a imposé des tarifs sur les machines à laver coréennes, le papier journal canadien et les panneaux solaires chinois.

Entretemps, les membres restants du partenariat transpacifique ont réussi (en principe) à ressusciter l’accord commercial en difficulté. Le Canada et l’Union européenne ont signé leur propre accord libre-échange (l’AECG). Les discussions dans le cadre du Brexit semblent de plus en plus positives, et bien que les délais prévus pour la signature d’un accord d’ici la fin de 2017 n’aient pas été respectés, la Chine s’est rapprochée de la conclusion du Partenariat économique régional global avec 15 autres pays.

En bref, alors que le reste du monde a avancé vers une ouverture des voies commerciales, les États-Unis ont décidé de rendre l’accès à leur marché de plus en plus difficile.

Nous ne tentons pas de suggérer que les diverses revendications liées aux échanges commerciaux indiquées par Washington sont inéquitables ou dépourvues de fondement. Il pourrait très bien y avoir des arguments justifiant l’existence de pratiques commerciales déloyales. Ces décisions doivent être prises par l’ITC et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Toutefois, l’ensemble commence à révéler un résultat déconcertant : des pratiques d’échange extrêmement protectionnistes commencent à définir la politique commerciale des États-Unis, tandis que le reste du monde, qu’il s’agisse des pays développés ou des pays en développement, évolue vers une libéralisation des échanges qui exclut les États-Unis.

Le but fréquemment mis en avant par Washington pour la modification de la politique commerciale est de réduire les déficits commerciaux là où ils existent et d’établir des relations commerciales dans le cadre desquelles les exportations des États-Unis vers un marché particulier dépassent les importations des États-Unis de ce même marché. Il s’agit pour le moins d’un effort ambitieux.

En date de décembre 2017, les États-Unis avaient maintenu un déficit de 375 $ milliards avec la Chine, un déficit de 71,1 milliards de dollars avec le Mexique et un déficit de 68,8 milliards avec le Japon. Il serait pratiquement impossible d’éliminer ou de réduire considérablement ces déficits, et franchement, cela ne devrait pas être une priorité. Les importations ne sont pas une mauvaise chose, et plusieurs emplois américains dépendent de marchandises importées à faible coût pour la fabrication de produits finis aux États-Unis que les consommateurs américains peuvent obtenir à des prix moins élevés.

De plus, les marchés boursiers, comme l’avait indiqué le président pendant son discours sur l’état de l’Union, qui ont été très performants durant sa présidence, ne réagissent pas très bien aux politiques commerciales perturbatrices. Selon de nombreux analystes, un retrait des États-Unis de l’ALÉNA aurait un effet négatif sur le produit intérieur brut, les actions principales et la valeur du dollar américain.

Les actes sont plus importants que les mots, et à la suite de l’imposition d’une multitude de tarifs à l’encontre des produits canadiens, coréens et chinois et de la menace de démanteler l’ALÉNA, en même temps qu’un retrait du partenariat transpacifique, les partenaires commerciaux des États-Unis sont probablement sceptiques d’entendre le président affirmer que « les États-Unis sont ouverts aux échanges commerciaux ».

Il incombe désormais à Washington de leur prouver le contraire.